DÉMISSION

« Vous, une si belle âme en un monde si laid ? »
Verlaine.

J’étais, je me suis cru, un professeur de France.
Je pensais pour quinze ans assurer ma mission
Et retourner ensuite à mes propres errances.
Voici, après cinq ans, signée, ma démission.

I

J’avais à prendre soin d’un peu plus que de moi ;
Mon amour étendu, fortifié par leur foi,
Me fit passer d’enfant à homme et citoyen :
Je serai professeur et je le ferai bien.

A choisir un métier, puisque je le pouvais,
J’en ai pris un d’honnête et d’utile à mon sens :
Donner à la jeunesse en dehors d’un Brevet
De quoi s’élever libre hors de l’adolescence.

J’en toucherais bien un, ou deux, des insensés
Qui trouveront en moi la clef de leurs pensées !

Tout comme je crânais moi-même dans mon coin,
À briller par effroi et à serrer les poings,
Élève au niveau vague et au grand potentiel,
Ce jour où par hasard, quelqu’un m’ouvrit un ciel :

C’est Madame Caucal punissant, ingénue,
Le voyou de devant que j’étais devenu,
En faisant de mon monde enfermé un poète !
J’apprenais, et les vers me montaient à la tête !

J’irai à la hussarde armer mon régiment !
Bouteiller bagarreur, Onizuka clément.

Adolescent, on croit essuyer des orages,
Mais d’un éclair à l’autre arrivent les tempêtes,
Ces moments décisifs qui font l’esprit et l’âge !
Et tout ce qui nous touche à la fin rend poète !

II

Le diplôme ne fut qu’une formalité,
Avec son lot, désespérant, d’absurdités.
Écrire est arrêté, figé comme un fossile,
Car je suis missionné aux quartiers difficiles.

J’enseigne le Français, les lettres, la pensée !
Nature à fleur de peau que j’aime ensemencer,
J’entraîne avec talent, pris dans mes conférences,
Les esprits bourgeonnant des enfants de la France.

La langue est une terre infinie et fertile :
Tout labour est parlant et la nature en fête
Dans des gerbes de fleurs profondes et futiles
Cherche le rythme juste et la pensée parfaite.

Plaisir moindre qu’écrire, il me faut l’avouer.
Lorsque je courus loin de l’antique cambrousse,
J’avais des poésies débordant de ma trousse :
Je prétendais ! Orgueil de jeune homme doué.

Par réverbération d’un Paris de lanternes,
J’imaginais l’accueil réservé au Poëte !
J’étais jeune et brillant, j’étais beau et moderne.
Où sont les vers et les chansons ? Où sont les fêtes ?

Rien de semblable à l’arrivée de mon génie.
La poésie n’est plus. La peinture a jauni.
J’écrirai au tableau de défendre la Vie,
Pour transmettre ma foi et enseigner l’envie !

III

Ma première rentrée ? Nous étions sans Ministre.
Ce présage léger déclare le sinistre.

Les bonheurs ? Je les garde, et je parle de Toi :
Institution, bouche cousue, langue de bois.

Un Collège et un an suffirent à saisir
L’ampleur de ton mépris et de ton bon plaisir.

Sous la pluie des Décrets, dans la boue de tes Lois,
Nos douleurs enterrées, car on croit en l’exploit.

Enfin tu fus, Macron, l’attendue quintessence :
Et en puisant plus bas, tu épuisas le sens.

J’accuse ici l’État de tuer sans dépit
Le futur de la France à l’autel du profit.

J’accuse ici l’Éducation d’être passée
D’entraîneuse d’élite aux pauvres à placer.

Le mensonge est constant et tu parles, content
Qu’on ne le puisse plus, ignoble Charlatan !

J’accuse ton désir d’automatisation ;
Tu aimerais, rapace, une atomisation.

C’est maintenir l’enfant du travailleur gardé
Pour s’assurer d’en faire un esclave attardé.

L’échec est lucratif pour qui a des actions
Et la moindre échappée est toujours sous caution.

C’est un fait scientifique ! Une fiction énorme !
C’est ainsi que l’on fait du certifié conforme.

Tes robots ne feront jamais bien ce boulot :
C’est de l’amour filé jusqu’au bout du rouleau !

Si c’est ton prix, État, traître aux vœux de l’Histoire,
Que nul ne collabore au fer de tes mâchoires !

*

Monsieur le Président, après cette chanson,
Je me rendrai dans ton bureau élyséen
Comme une âme navrée mais en bon citoyen ;
Et en mon nom, je signerai ma démission.

J’aurais le souffle court du déserteur – regrets
De n’avoir su fournir à ta faux des progrès.
Même nu comme un vers dans cette guerre infâme,
Et même abandonné par des gradés odieux,
J’aurais aimé, même à moi seul, nourrir la flamme,
Et changer ton système en en faisant un mieux !

Monsieur le Président, je n’ai pas pu le faire.
J’ai ma petite idée maintenant de pourquoi
Et je pointe du doigt d’honneur la loi du roi –
Et l’organisation calculée de l’affaire.

J’entre dans ton bureau. Je craignais ton regard
Et tu fermes les yeux. L’ironie est suprême.
Je parle sans détour et ton œil louche, hagard,
M’ignore. Alors, frappé par ta réponse extrême,

Je brise ta figure, et j’entends que tu casses !
Tout ton simili-marbre envolée aux éclats.
Tends l’autre joue, Macron, c’est pour la dédicace !
Nous t’entendions si creux ; tu n’es même pas là.

Je prends sur ton bureau un papier poussiéreux.
Je le relis trois fois. Signée, la Démission
De l’État-Providence, avec dessus ton nom,
Et d’autres avant toi corrompus, et fiévreux,
Je froisse le papier et je serre le poing :
C’est la lutte finale et on lui met un point.

Monsieur le Président, après cette chanson,
Je me rendrai dans ton bureau élyséen
Comme une âme navrée mais en bon citoyen ;
Et en leur nom, je signerai ta démission.