INVOCATION

Je m’en remets à toi, Nature ! Joie panique
À laquelle livré l’homme se rend, heureux !
Que ta sève déluge et en nous et sur eux,
Emplissant nos vaisseaux de ta vie tyrannique !

Homme à bord, ton soleil à chacun de tes gestes
Resplendit ! Artisan d’un filet de lumière,
Mince comme une aurore à l’horizon céleste,
Tu nous déploies tes bras comme ceux d’une mère !

Et l’éternel Dauphin dans ton sillon joueur,
Enfant de tes filets, va courir le bonheur
De vivre l’aventure ! et de la vivre ici !

Je parle dans un ciel que je fixe éclairci,
– Génie dont je m’honore, et parle aux éclaireurs !
Quoi que dure la nuit, la lune aura son heure !

*

Lorsque l’Hiver s’apprête à tirer une croix
Sur le vieillard prostré, sinistre, faible, austère,
Qui a la larme à l’œil et l’ardeur militaire :
Il fait beau vivre, en fait ! C’est la leçon du froid.

Vieille carne acculée a des ruades d’or !
L’ancêtre est redressé, suprême dignité,
Dans l’ultime splendeur du dernier mot d’un mort,
Et le dit d’un silence et pour l’éternité.

Brave vieux remettant en ordre tes papiers,
Rassemble le meilleur de ce qui fut expié,
Priant pour qu’à ton cou la corde ait une trace !

Dieu tout entier dans ta prière évertué,
Ô Nature ! Adviens vite au secours de ta race
Qui retourne avant Toi, maigre et destituée !

*

Équinoxe au ciel bas, penché comme une femme
Au berceau, en pleurant, comme pleurent les cygnes,
Toute ta sève coule à chaque cou de vigne :
C’est le sang à la terre et l’amour d’une flamme !

Vendanges tant fêtées qu’elles firent fureur ;
Achille a tort d’aimer mais que c’est beau, Homère !
C’est en tombant que le soleil, les feuilles et les fleurs
Donnent tout leur éclat, comme l’homme éphémère !

Vivre d’un coup ! d’un seul ! Contre tous nos aïeux
De bois bruts et flétris, peindre d’or et de feu
Le rayon et la limbe, alors même qu’ils meurent !

Mes limbes effleurées aux rayons de Leurs Yeux
Bourgeonnent dans les miens d’un paradis d’adieux :
Alors un Ange passe, imaginé trompeur.

*

Été, nous sommes prêts. Vas-y, c’est quand tu chantes.
Légende d’Apollon face à Dionysos !
C’est le fils de Léto contre du Ciel la plante,
Un duel homérique entre deux fils de Zeus !

C’est un Loup contre un Bouc. Le peau-rouge est en transe
Et l’autre est dans sa grotte à hurler à la lune !
Et de leur joie lyrique où de la vie s’encense
Naît l’illusion tragique et la bonne fortune.

Dithyrambique Été vivant de trop en faire !
Même au soleil ou à son dieu, l’homme préfère
Ton feu plus pur pesé à prix d’or et d’argent.

Adieu, poésie du vivant, pour un carnage urgent !
L’apogée de ton jour nous rend l’ombre si maigre,
Qu’épaissie dans la nuit, elle s’embrase, allègre !

*

De retour, l’hirondelle envolée d’allégresse
Entraîne un peuple élu aux mystères du nid !
Mars est une planète et une Jordanie !
C’est loin, sous d’autres cieux promis où l’on se presse…

C’est ici, Ver sacrum ! Nous n’habitons qu’un monde !
Mars est fêté à la maison, tout confiné !
Consacrons-nous heureux à ce qu’on se confonde !
Œuvrons à réunir tout ce qui fut ruiné !

C’est la main qui bourgeonne au labour de la terre,
C’est le pied fleurissant des oliviers austères,
C’est le cœur qui gazouille à l’amour bondissant !

Poème qui prend corps, Printemps, comme tu pousses !
Germinal à côté est une chanson douce !
Et pourtant, comme il va, ce miracle vivant !

*

Ma prière est pour l’homme et la femme – qu’ils viennent !
Si je claque des doigts comme tout un chacun,
De mes deux mains de magicien, j’en deviens un !
Mais il dépend de Toi qu’enfin Tu nous adviennes !

Au nom du père, Enfant, par ta mère poussé,
Prends ta part du printemps flambant neuf comme on sait,
Et vent debout allume avec du bois de quoi
Chauffer un peu la cheminée de notre foi !

Va, Futur destiné à perdre tous ses biens,
Tu me plais comme un fils échappé de mes liens ;
Fils dont je suis l’esclave attentif et pensif,

Façonne de ma vie l’avenir que tu souhaites.
Valet de mon talent, sors tes petites griffes :
Je veux sentir l’amour de ta main qui me fouette !