ÉVOCATION

A moi, Éris ! Discorde ailée, que tu me siffles
Un air de pompe et de gaieté quand je persifle !
Déesse, Ange d’Histoire et Muse Ensanglantée,
Souffle-moi les folies que tu as enfantées !

Sire, à toi. S’il te plaît, je te dédie ce Livre.
Mon char à ton Soleil modestement s’attelle ;
Illuminé, je tiens à ce qu’on te délivre
Jouissance sur tout, jusqu’à la bagatelle.

C’est pour vous, mes idiots d’enfants dionysiaques,
Chers angelots bouffis et hypocondriaques,
Car parmi vous riant comme un Dieu qui s’ignore

Et criant dans un ciel que je fixe éclairci
Naît l’Enfant Infini dont le bonheur m’honore,
Ce Soleil qui se lève et que l’on remercie.

*

Il a des envolées, des chansons, des douceurs
Terribles, le Printemps. Mars est un grand farceur ;
Avril dans sa lumière est belle et va, ravie,
Donner naissance à Mai – tête blonde de vie,

Coucou bruyant battant le pavé de son sang !
On dit que Juin, Reine aux longs jours après les beaux,
Est une République aux gazouillis lassants ;
Pourtant, l’amour l’allume et passe le flambeau !

Printemps ! Vert et violent comme la vie, envers
Et contre tout tu as raison : la joie l’emporte !
Nature en touffe, en rut, pousse à tombeau ouvert !

C’est vivant comme tout et tes chaleurs exhortent :
Je t’attends, viens ! Soleil cuisant de ma jeunesse !
L’Été, cinglant : Tout ça, juste pour que je naisse ?

*

Comme on prie dans la nuit pour qu’un soleil revienne,
Toute l’année n’est là que pour cette arlésienne :
Été ! Fille de joie d’un peuple de bons gars,
Monte sur le comptoir, Furie des bodégas !

Peuple versé à boire en sa saison festive
Rêve au ruissellement de l’or de Jupiter,
Car tout part de sa cuisse. Au fait, elle est fictive !
Inventée de main d’homme ! Ô paradis, Enfer !

Zénith ! Été ardent, Brutus épais, Imperator !
Nous nous soumettons tous à ta lumière, à tort,
Mais la langueur est douce et le plaisir est bon.

Vivre au chaud de tes bras, bercés par tes chansons,
Tétant ton sein offert à nos virilités,
C’est mourir d’aise au frais parfum d’éternité.

*

Saison de plume énorme, Automne, Automne aimé,
Pour tout l’art que tu mets à donner au Printemps
Des leçons de lumière et des cours enflammés ;
Accouche, génie lent : fais ta pluie et va-t-en.

Tombée, la feuille est belle, et le vent soulevant…
– C’est ce qui a passé. Le temps a fait son œuvre,
Infatigable artiste allant, la vie rêvant,
La refaire en peinture, en faiseur, en manœuvre !

Mélancolie d’automne en qui nous versons tous,
Mauve et dorée comme une averse de Van Gogh,
Vin de vigueur d’antan dans nos dernières courses !

Toi qui cloua l’Été, alcoolique et ailé
Comme un ange à la Klee, beau-parleur démagogue,
Phare des nuits de craie, tu n’es qu’un pis-aller.

*

Plus rude et moins chanté, si ce n’est pour ta neige,
Hiver toujours plus long, plein de ruines poudreuses,
Tu ris à pierre fendre avec un air stratège
Mais ne trompes personne avec ta chute heureuse.

L’hibernation est le bon sens des belles bêtes ;
Il est l’heure et l’on part avec la tête haute.
Lui, la tête égarée dans l’ivresse et la fête,
Nous dit que c’était mieux, hier. C’est donc ta faute.

Dans son repos glacial un œil exorbité
Sans cesse se démène en Caïn excité,
Enfin libre de Dieu pour voir son œuvre vivre !

Dans l’ombre d’un instant frémissement de glace :
C’est un air de naissance affleuré par la grâce !
L’hiver a des printemps chantant qu’on les délivre !

*

Pourquoi l’homme fait-il à la femme un enfant ?
Par amour. Et l’amour est toujours sans raison ;
C’est un cycle infernal qui refait triomphant
Le monde dans un dur désir de déraison.

Pourquoi la femme enfante à l’homme un avenir ?
Par amour. Et l’amour est toujours un plaisir ;
C’est un cercle vicieux qui d’un conte à dormir
Debout, vire au calvaire éternel du désir !

Vivre : étirer d’un trait le passé qu’on adore !
C’est le Sanculotide achevant Fructidor !
C’est de sa propre glaise amonceler des Dieux

Foudroyant d’un éclair tous nos vieux fronts radieux !
C’est l’aube d’un jour nu et blanc comme un feuillet,
Car tous les enfants sont des QUATORZE JUILLET !