LE PRINTEMPS DES POÈTES

J’avais quinze ans, j’avais un thème et j’ai vaincu :
« Sainte Victoire ». Et mon génie s’enorgueillit :
J’écrirai quand je veux, après avoir vécu.
Et sur la vie qui va, je me suis recueilli.

De retour à la source où ma vie fut saisie,
Quinze ans après, me revoici, ô Poésie !
Credo d’homme au plus pur – toujours réitéré :
Je ne laisserai rien, Poésie, t’altérer.

Magie de dieu en l’homme, ambroisie, vieille flamme !
Tu es le premier cri de notre élan natal !
Épopée d’une foule ou chanson de notre âme,
Tu es l’hymne sacré et le vrai capital !

*

C’est l’éternel labeur et l’éternelle sangle ;
Comme toi artisan, j’écris dans une langue
Vieille comme le monde et comme la clarté,
Langue d’une matière à mettre en liberté !

Elle a bientôt mille ans, la musique absolue
De la langue française. Elle fut un latin !
Et je l’ai, épuisée, sur les bras, résolu
A la baiser toute la nuit, jusqu’au matin !

Alexandrin, quel Alexandre est Notre Père ?
L’auteur ou la matière ? Une réponse forme
Un camp, un rêve, un monde. Et je choisis la Terre,
Grouillante de vrais vers pleins d’une vie énorme !

*

J’aime le vers, et son revers millimétré
À la ligne d’après. Il est droit – comme un trait
Perpétré – de pied ferme. Et même de travers,
Il tire à blanc six coups comme un bon revolver !

Il comble mon oreille et mon cœur et mon œil :
C’est la langue en beauté qui danse sur ma feuille
Et l’écho de la balle à nouveau dans le mille
A du chien de coucher dans ce lit cette fille !

C’est la détonation d’un concentré de poudre ;
C’est l’eau de pluie à boire un soir de coup de foudre ;
C’est un élan sportif : un saut à l’élastique

Au-dessus de la vie prosaïque et muette !
C’est le feu ravivé par la main du poète
Éclairant le présent de braises fantastiques !

*

Poète, l’heure est sombre ; et le chant inaudible
Est trop lent, trop brouillé. Il échappe à sa cible.

Tant pis. Plus libre ainsi de chanter purement,
Prépare un lit rêvé pour le débordement !